Pourquoi les Français aiment-ils Clint Eastwood?
« Il est capable de toucher tous les publics »
Entretien avec Noël Simsolo, cinéaste, acteur, écrivain et auteur de « Clint Eastwood, un passeur à Hollywood »*1
Clint Eastwood a-t-il une sincère affection pour la France ?
Oui, à l’évidence. Tout d’abord, parce qu’avec l’Italie, c’est le seul pays d’Europe dans lequel les films de Sergio Leone ont marché. La France l’a aidé à se révéler aux yeux du monde en tant qu’acteur. Ensuite, lorsqu’il s’est mis derrière la caméra pour Pale Rider, le cavalier solitaire (1985) il a été reconnu d’emblée comme un très bon cinéaste. Au contraire des Etats-Unis, où l’on appréciait son talent d’acteur mais non de réalisateur. Enfin, parce que son travail d’auteur a été défendu par des critiques de cinéma comme François Guérif, Alain Cordeau ou Bertrand Tavernier, lorsqu’il était taxé de fasciste outre-atlantique à la suite de L’Inspecteur Harry.
Pourquoi le cinéma d’Eastwood plaît-il tant au public français ?
Parce que ses œuvres sont glauques et noires la plupart du temps et que les Français sont inquiets. Eastwood n’est pas un réalisateur optimiste. Par ailleurs, tout en étant Américain, il a travaillé à de nombreuses reprises en Italie auprès de Sergio Leone qui a eu une grande influence sur son travail. À ce titre, il peut en quelque sorte être considéré comme un auteur à l’européenne, qui a réussi à s’imposer là où d’autres, comme Orson Welles ou Jerry Lewis, ont échoué. On pourrait comparer son succès en France à celui de Woody Allen, mais l’œuvre de ce dernier tourne exclusivement autour de la communauté juive de New York. Eastwood, au contraire, est universaliste. Il traite de sujets généraux et joue beaucoup sur l’émotion : il est capable de toucher tous les publics.
Son succès ne se limite donc pas à la France ?
Non, c’est sûr qu’il ne faut pas être chauvin. Il y a en ce moment une mode Eastwood dans le monde entier, car c’est un passeur entre le cinéma classique et le cinéma moderne. Mais il faut remarquer que le public français a répondu présent dès le début. Bird a été un succès populaire, alors qu’à l’étranger, ses films avaient tendance à moins bien marcher lorsqu’il ne se mettait pas en scène dedans.
Malgré ses convictions politiques, il fait partie de ces Américains aimés des Français…
Si Clint Eastwood fait partie de la droite républicaine, ce n’est pas un fanatique. On a essayé de l’attirer dans la politique, mais même s’il a été maire de Carmel (Californie) et proche de Ronald Reagan, c’est quelqu’un qui est resté très pragmatique : il prend les bonnes idées côté démocrate comme républicain. Sur l’échiquier politique américain, on pourrait dire que c’est une sorte de François Bayrou. En 1991, il s’est d’ailleurs prononcé contre l’intervention américaine et on est en droit de penser que derrière la mise en scène des héros dans « Mémoire de nos pères »2, il y a une critique implicite de la première Guerre du Golf.
1 Cahiers du cinéma, novembre 2006.
2 Dans ce film, Eastwood s’intéresse aux soldats qui hissent la bannière étoilée sur la célèbre photographie de Joe Rosenthal, et qui furent ensuite utilisés par Washington pour collecter des fonds.
Après Mémoires de nos pères, Lettres d'Iwo Jima relate la bataille américano-japonaise de février-mars 1945 du point de vue nippon. L'attaque américaine sur cette île du Pacifique est restée particulièrement célèbre par la photo de soldats érigeant la bannière étoilée au sommet du mont Suribachi.