Tramway parisien: de l'art comptant pour rien

Publié le par Mat

Neuf sculptures d’artistes contemporains internationalement reconnus jalonnent le trajet du tramway des Maréchaux Sud, à Paris. Reconnus, peut-être, mais par qui ?

À les écouter, certains passagers du tramway T3 des Maréchaux sont des artistes qui s’ignorent. Des plus modestes : « Moi aussi, je peux faire une œuvre comme celle-là ». Aux plus fanfarons : « Si c’est une œuvre d’art, j’en ai des dizaines chez moi ».

L’initiative, comme souvent, paraissait louable. Lancée par la municipalité parisienne en 2002, il s’agissait, selon les mots de Bertrand Delanoë, de « rythmer les allers-retours quotidiens par la confrontation à l’art contemporain ». Seulement, à l’heure des trajets en tramway, rares sont les voyageurs à êtres interpellés par ces installations intégrées au mobilier urbain. « Je fais la route tous les jours, mais j’avoue que je n’y prête pas trop attention », s’excuse presque Christiane. Même le chauffeur de Tram, pourtant un habitué, ne saurait les situer : « Il faut dire que je dois rester concentré sur la route », se défend-il. Porte d’Ivry, terminus. Qui a pris le temps de se cultiver ?

Certains y mettent pourtant de la bonne volonté. Devant « l’œuvre-habitation » imaginée par l’architecte italien Didier Fiuza Faustino, Youssef, qui croit y voir « un totem », regrette : « Les structures ne sont pas bien situées. Même celles que l’on aperçoit sont trop en retrait et les gens ne font pas le rapprochement avec le tram. Moi, j’essaie de les trouver sur le trajet, mais ce n’est que la troisième que je découvre ». Difficile de lui en vouloir. L’œuvre sonore réalisée par Christian Boltanski, à partir d’une série de confessions amoureuses, se cache ainsi sous quelques bancs épars du parc Montsouris, loin de l’itinéraire qui relie la Porte d’Ivry au Pont du Garigliano.

Comble de l’ironie pour des œuvres censées « joindre l’utile à l’agréable, le pratique et le ludique », certaines passent littéralement inaperçues. « J’ai dit à une amie que c’était un point-rencontre », s’esclaffe Francine, en désignant la structure en verre sans tain plantée à hauteur de la Porte de Versailles. « Je me demandais aussi pourquoi ils ne l’avaient pas couvert ! ». Peu importe, sa petite fille a trouvé de quoi s’amuser : « on peut se voir dedans ».

Partant de là, c’est-à-dire de nulle part, une question métaphysique : l’art doit-il être utile ? Tarek a sa réponse : « Je trouve ça bien…pour skater », lâche-t-il en tâtonnant la parabole en béton qui fera bientôt office de half-pipe Métro Porte d’Italie. Un petit garçon préférerait transformer l’oeuvre en « toboggan ».   À quatre millions d’euros le projet artistique global, cela risque de faire cher le terrain de jeu. Mais pour le papa du petit bonhomme, « si on ne peut pas jouer dessus, je ne vois pas à quoi ça sert ».

On peut même carrément plonger dans le surréalisme avec « l’éclaboussure » qu’imagine un riverain, planté devant l’œuvre de Sophie Calle, sur le Pont du Garigliano. Renseignement pris, une fleur survitaminée qui abrite un combiné téléphonique… « Quoi, il ne marche pas ? C’est de la fumisterie ! ». Friture sur la ligne. Une promeneuse se veut moins sévère : « Cela occupe l’espace public. Je ne sais pas ce que l’artiste a voulu raconter; si vous voulez en savoir plus, elle a un site Internet ». Mais le passant a décroché depuis longtemps.

 

 Le téléphone, de Sophie Calle, une des neuf oeuvres contemporaines jonchant le parcours du tout nouveau tramway des Maréchaux.

Publié dans Exercices CFJ

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